Quelle idée avais-je eu de penser que j’allais être déçue par Carol, le dernier film de Todd Haynes ? Peut-être cet ennui ressenti devant Loin du paradis (2002), peut-être des images trop lisses aperçues de-ci de-là quelques mois avant sa sortie officielle en France. L’acclamation générale des journalistes l’ayant vu avant tout le monde m’inspira encore plus de méfiance : n’est-on pas toujours déçu quand on s’attend à un chef d’oeuvre ? J’allais bien devoir me rendre à l’évidence : je m’étais trompée car Carol est un chef d’oeuvre, un vrai, comme ceux qui marque l’histoire du cinéma, à jamais.
C’est la musique qui accroche dès les premières secondes du film et elle n’est pas sans rappeler celle de The Hours de Stephen Daldry (2002). Une musique qui prend au coeur et qui ne vous lâche plus, des notes de piano comme la madeleine de Proust. L’émotion sera bien au rendez-vous, et la surprise aussi, le suspens car jusqu’à la dernière minute du film, on ne saura rien du destin des deux amoureuses.
Dans un premier temps, Todd Haynes pose le décor, les couleurs, l’époque. Il y a la rencontre, un coup de foudre et un flirt immédiat entre la bourgeoise envoûtante et sure d’elle Carol, en plein divorce et la vendeuse, timide et discrète Thérèse, courtisée par un jeune homme dont elle n’a guère envie. On tombe alors sous le charme de leur histoire, le coeur battant, le souffle coupé jusqu’à la dernière scène.
Le génie de Todd Haynes est là, dans la mise en scène des regards, des gestes tendres et des mots délicieusement écrits par Phyllis Nagy d’après le roman de Patricia Highsmith (The Price of Salt, 1952). Il en a fallu du courage pour écrire au début des années 50, l’histoire de deux femmes amoureuses tiraillées entre un mari, un amant et une société patriarcale qui ne leur laissait comme choix que de faire des enfants et de s’occuper de l’image de leurs foyers. C’est cette audace qu’il faut souligner dans cette histoire car si Carol est une histoire d’amour, elle est aussi un sublime message sur la liberté des femmes et leur capacité à prendre leur destin en mains. C’est dans ces moments-là que le cinéma touche au sublime, quand le générique de fin apparaît, que notre coeur bat la chamade et que l’émotion prend le dessus sur tout.